• ÉSOTÉRISME ET ESBROUFE

     

    ÉSOTÉRISME ET ESBROUFE

    Georges Gurdjieff fut un « petit maitre » du siècle dernier. Ce qualificatif de « petit maitre » lui fut donné, en 1980, par l’un de mes instructeurs tibétain, quand je m’interrogeais sur cet étrange personnage. Sa « petitesse », m’a-t-il affirmé en souriant, provient de sa manière d’enseigner quelque peu décousue et surréaliste, telle que la traduite son fervent disciple le crédule Ouspensky en son fameux ouvrage Fragment d’un enseignement inconnu. (Editions Stock)

    Ouvrage décousue et compliquée alors que tout enseignement sérieux de l’ésotérisme se doit d’être simple.

    Vous avez là la raison pour laquelle je m’insurge périodiquement contre les aréopages de certaines écoles qui « recrutent » de fin lettrés en laissant tomber le terreau nutritif des simples au cœur pur. L’érudit qui ne jongle pas avec la rhétorique de l’expression verbale ou écrite est accueilli à bras ouverts, alors que ce verbiage savant est souvent géniteur d’esbroufe. Je parle là de certaines écoles issues de l’enseignement de l’Adepte Fulcanelli dont j’ai eu maille à partir sans pour cela pleurer si ce n’est sur la misère de ceux qui s’arrogent un pouvoir qu’il n’ont pas. L’absolu est justice fort heureusement…

    Ce vulgum pecus ignare je l’ai été. Ce jeune désorienté que je fus dans la plus totale sincérité et convaincu de la noblesse des concepts alchimiques fut superbement méprisé par Eugène Canseliet.

    Non je ne règle pas mes comptes (j’aurais disposé de trente ans pour le faire avant 2014). Si j’en parle actuellement c’est parce que chacun peut constater que cet état d’esprit détestable, proche de ce culte idiot du secret, perdure au sein de « l’honorable » fraternité !

    Pour preuve de nos échanges épistolaire, l’enveloppe de lettre, reproduite ici, miraculeusement épargnée malgré les déménagements ou d’aucun reconnaitrons l’écriture de celui que l’on appelait le maitre de Savigny.

    Pensez ce que vous voulez de Roger Caro, insurgez vous sur son alchimie mais je lui dois de m’avoir accueilli dans la plus grande simplicité et bonté. J’ai donc vite fait la différence quant à la valeur intrinsèque des alchimistes en question.

    A cette époque, le trentenaire que j’étais avait un besoin viscéral d’établir un dialogue avec la Grande Dame génitrice de toute vie. Roger Caro m’a ouvert la porte du sanctuaire dans la plus grande simplicité, ce qui n’a pas exclu, de ma part, un travail personnel accompagné de la plus grande bienveillance.

     « En rien git tout » disaient les vieux maitres. C’est vers le « rien » que « tout » évolue et non autour des centres culturels nombril du monde. Oui, un individu inculte peut receler un vrai trésor… Qui cherche ce trésor dans l’actuel milieu, souvent guindé, de l’ésotérisme lequel se dit gardien des valeurs spirituelles de l’humanité ?

    Le costard, orné d’un tablier d’une écharpe et d’un sautoir, dans lequel se présentent les adeptes dans leurs temples n’habille généralement qu’un mirage.

    Certains m’ont sortie des inepties, sous forme de sentence, telle que : « Celui qui doit rencontrer un formateur le rencontrera » ou « Quand le temple est prêt le maître apparait » et d’ajouter plein d’emphase : « le hasard n’existe pas ». Parbleu oui le hasard n’existe pas mais la bêtise elle existe !

    La grande majorité des ésotéristes actuels sont en réalité gardiens d’un prés-carré réservé aux cultivés « universitaires », ou à tout ce qui y ressemble, dans l’espoir de récolter, peut-être, quelque crédibilité ou de former une « élite » pour honorer leur philosophie ou peut-être leur propre gloriole. Allons, soyons réaliste Finis gloria mundi, mettons fin à la gloire de notre petit monde.

    Je dois tout de même exclure de ce détestable état d’esprit l’alchimiste René Alleau, dont la discrétion est autant significative que sa participation à des ouvrages de vulgarisation qui montrent son attachement au vulgum pecus, prenant ainsi, en toute discrétion, le contrepied de ses contemporains les plus illustres et néanmoins amis, adeptes de l’intelligentsia et du secret. Son livre Aspect de l’alchimie traditionnelle est un trésor qui complète, notamment en insistant sur la nécessité de « l’éveil » de tout alchimiste, le message de son maître Fulcanelli. Message qu’a fort bien compris et développé le couple Schvaller de Lubicz, amis de Fulcanelli, et plus particulièrement Isha avec des ouvrages fondamentaux que sont : Her-bak « pois chiche », Her-bak « disciple », La lumière du chemin et L’ouverture du chemin.

    Non je ne vois pas de l’esbroufe partout mais chez Gurdjieff c’était devenu une science lucrative qui influença grandement certains penseurs du XXe siècle comme Louis Pauwels avec son livre, coécrit avec Jacques Bergier : Le matin des magiciens. (Gallimard, 1960) Fort bien rédigé, ce marécage de surréalisme eut tout de même de grandes qualités comme celle de faire connaitre Fulcanelli et d’en éveiller plusieurs à une autre perception du monde.

    C’est cela l’influence d’un « petit » maître : une belle chose entachée d’incertitudes qui ne dit pas ou le disciple doit mettre les pieds.

    Evidemment je vais vous entretenir de l’une de ses belles choses, si fondamentale, pour accéder à la spiritualité. Je l’ai extraite au hasard de ce fouillis qu’est ce livre singulier d’Ouspensky, cité précédemment. Et là on ne peut que constater combien un « petit maitre » ne met pas l’accent sur la bonne lettre qui de ce fait passe inaperçue.

    Malheureusement, et pour « vendre » une formation par groupes de plusieurs individus, il diverge vers des spéculations syncrétiques qui dissimulent mal le fait qu’a contrario une formation réelle ne peut qu’être essentiellement solitaire sous les conseils d’un guide attentionné. Mais laissons cela et séparons le bon grain de l’ivraie.

    Les questions que l’on se pose, dit Gurdjieff, se rapportent aux Évangiles et plus particulièrement du sens des paraboles… (En ce sens notre « petit maître » est au cœur du sujet qui caractérise certains passages du chapitre onze du recueil d’Ouspensky.)

    C’est ainsi que notre bretteur de l’occultisme propose de lire un passage de l’évangile. Constatons que notre adepte Soufi anti dogmatique, spirite à ses heures, propose une telle lecture à ses disciples abonnés. Il est vrai que malgré ces mélanges indigestes notre homme propose un christianisme ésotérique de son eau… dans laquelle il noie allègrement le poisson.

    C’est ce poisson que j’ai voulu pécher car il montre que notre homme pratiquait fort habilement une simagrée d’informations. Que les adeptes inconditionnels de l’ennéagramme[1], que notre bateleur a jeté en pâture aux crédules, veuillent me pardonner mon outrecuidance ou mon lèse-majesté.

    Gurdjieff analyse le texte bien connu de l’Evangile de Jean (XII, 24) :

    « Si le grain ne meurt après qu’on la jeté en terre, il demeure seul ; mais s’il meurt il porte beaucoup de fruits »

    Ce texte a de multiples significations.

    En alchimie il s’agit de la décomposition (mort et putréfaction) de la matière (œuvre au noir) et donc sa décomposition afin d’en laisser se manifester la vitalité qui pourra se multiplier et transformer la matière en pierre philosophale.

    Cependant le principe qu’il renferme s’applique pleinement à l’homme et donc à l’alchimie interne (à l’homme) indispensable aux adeptes qui côtoient nécessairement l’esprit lors des manipulations au laboratoire. De ce fait l’alchimie au laboratoire est plus spirituelles que l’alchimie à l’oratoire ce que beaucoup de manipulateurs et de spirituels ne mesurent pas. C’est donc un art sacré… Un art sacerdotal. Et cela quelle que soit la religion, ou la philosophie, de l’opérateur. En ce sens l’alchimie est puissamment œcuménique, d’un œcuménisme non bavard évidemment !

    Gurdjieff cite ensuite des aphorismes d’un livre qui est probablement le fruit de son imagination car tous les « initié » en saisissent l’évidence. Les voici :

    « L’homme peut naître, mais pour naître il doit d’abord mourir, et pour mourir il doit d’abord s’éveiller. »

    « Lorsque l’homme s’éveille, il peut mourir ; lorsqu’il meurt, il peut naître. »

    Ces deux aphorismes sont une véritable clé de l’évolution des êtres que tout prétendant à la connaissance de l’ésotérisme et à la vie spirituelle ne saurait ignorer. Tous ceux qui pratiquent l’alchimie interne en saisiront l’importance, leur connaissance est incontournable, comme l’on dit maintenant. C’est là que Gurdjieff aurait du insister sur le plan pratique.

    Il précise avec justesse:

    Nous devons comprendre ce que cela signifie.

    « S’éveiller », « mourir », « naitre » sont trois stades successifs.

    J’ajouterais qu’il est impossible de s’éveiller sans « mourir » et que « l’éveil » est la face cachée de la mort, de la mort du « vieil homme » évidemment...

    Que les philosophes et spiritualistes se calment, il ne s’agir pas d’une vue de l’esprit  mais d’un long chemin résumé en trois mots qui ne sont autre que la véritable triade alchimique et maçonnique… Le même esprit éveille l’être et la matière. En cela inutile de disserter à moins de vouloir perdre son temps.

    En résumé je prie les spéculateurs de modérer leurs envolées lyriques car il y a du pain sur la planche puisque, comme vous le savez, les belles phrases nous flattent l’ego mais ne nous font pas avancer.

    Revenons à notre génial marchand de tapis que fut Gurdjieff.

    Au lieu de dire que l’éveil transforme profondément et irréversiblement l’être et donc le fait mourir à son ancienne condition, que cette mort étant une véritable renaissance, voici son discours qui étouffe le vulgum pecus :

    « Si vous étudiez les Evangiles, avec attention, vous verrez qu’il y est souvent question de la possibilité de « naitre », mais les textes ne parlent pas moins de la nécessité de « mourir », et ils parlent très souvent de la nécessité de s’éveiller : « Veillez, car vous ne savez ni le jour ni l’heure… ».

    Mais ces trois possibilités : s’éveiller (ou ne pas dormir), mourir, et naître, ne sont pas mises en rapport l’une avec l’autre. Là est cependant toute la question. Si un homme meurt sans être éveillé, il ne peut pas naître. Si un homme naît sans être mort, il peut devenir « une chose immortelle ». Ainsi le fait de ne pas être « mort » empêche un homme de « naître » ; et le fait de ne pas s’être éveillé l’empêche de « mourir » ; et serait-il né avant d’être « mort », ce fait l’empêcherait d’ « être ».

    Certes, tous ceux qui sont sur le chemin comprennent le sens profond de ce jeu verbal. Mais qu’en est-il du vulgum pecus ?

    Gurdjieff finit tout de même par être plus clair :

    « Naître  n’est qu’un mot  pour désigner le commencement de la formation de l’individu, le commencement de l’apparition d’un « Moi » indivisible. »

    Ce que Gurdjieff ne dit pas c’est que ce « Moi » Indivisible n’a plus aucun rapport avec l’ancien moi ou petit moi. Sa dimension est la réalisation d’une véritable communion avec le « Moi » universel, c’est-à-dire l’accord avec tout ce qui vit. Les Orientaux parlent de tchen jen ou homme véritable.

    Cette dimension est bien située par René Alleau dans son livre Aspect de l’alchimie traditionnelle, montrant par là que tout alchimiste digne de ce nom doit acquérir ce nouveau « Moi » universel. D’où les jeux cabalistique Univer-sel, c'est-à-dire l’union, ou « scel » (du Moi), avec l’univers… Disons en passant que l’abbé Saunière, curé de Rennes le Château, a fort bien exprimé cet « Univer sel » alors que tout le microcosme, des chercheurs et allumés, se chamaille pour défendre son camp. Soit celui des « pour » ou celui des « contre » de la qualité d’adepte de notre célèbre curé.

    Enfin Gurdjieff se fait plus explicite :

    « Mais avant tout l’homme doit mourir ; cela veut dire qu’il doit se libérer d’une multitude de petits attachements et d’identifications qui le maintiennent dans la situation où il se trouve actuellement. Dans sa vie il est attaché à tout, attaché à son imagination, attaché à sa stupidité, attaché même à ses souffrances. Il doit se libérer de ces attachements. L’attachement aux choses, l’identification aux choses, maintiennent vivants dans l’homme un millier de « moi » inutiles.

    Ces « moi » doivent mourir pour que le grand MOI puisse naître »

    Le célèbre coach donne ensuite des clés théoriques pour tenter de se débarrasser de nos petits « moi ». C’est ressentir, dit-il, son insignifiance. Il est vrai que cela est impossible pour beaucoup tant les petits  « moi » sont multiples, bavards et vaniteux :

    « Mais comment pouvons-nous être amenés à mourir ? Nos petits moi ne veulent pas mourir ! C’est ici que la possibilité de s’éveiller vient en aide.

    S’éveiller signifie réaliser sa propre nullité, c’est-à-dire réaliser sa propre mécanicité, complète et absolu, et sa propre impuissance, non moins complète, non moins absolue.

    Mais il ne suffit pas de le comprendre philosophiquement, avec des mots. Il faut le comprendre avec des faits simples, clairs, concrets, avec des faits qui nous concernent.

    Lorsqu’un homme commence à se connaître un peu, il voit des choses en lui-même bien des choses qui ne peuvent pas ne pas l’horrifier. Tant qu’un homme ne se fait pas horreur, il ne sait rien sur lui-même.

    Tel est le premier aboutissement qui devient le moteur d’une réforme profonde et nécessaire. Cependant il est bien évident que se faire horreur ne saurait être le substrat pathologique d’une manière de vivre et de se développer. C’est une étape salubre et indispensable pour aborder dans de bonnes conditions le changement de la pensée, et conséquemment de la manière de vivre, que les Evangiles appellent Métanoïa :

    « Un homme a vu en lui-même quelque chose qui l’horrifie. Il décide de s’en débarrasser, de s’en purger, d’en finir. Quelques efforts qu’il face cependant, il sent qu’il ne peut pas, que tout demeure comme auparavant. C’est là qu’il verra son impuissance, sa misère et sa nullité ; ou encore, lorsqu’il commence à se connaître lui-même, un homme voit qu’il ne possède rien, c’est-à-dire que tout ce qu’il a regardé comme étant à lui, ses idées, ses pensées, ses convictions, ses habitudes, même ses fautes et ses vices, rien de tout cela n’est à lui : tout a été pris n’importe où, tout a été copié tel quel. L’homme qui sent cela peut sentir sa nullité. Et en sentant sa nullité, un home se verra tel qu’il est en réalité, non pas pour une seconde, non pas pour un moment, mais constamment, et il ne l’oubliera jamais.

    Pour finir notre « petit maître » parvient à expliquer ce qu’est la mort dont il parle et livre la théorie du concept :

    « Cette conscience  continuelle de sa nullité et de sa misère donne finalement le courage de « mourir », c’est-à-dire non pas simplement dans son mental, ou en théorie, mais de mourir en fait, et de renoncer positivement et pour toujours à tous ses aspect de lui-même qui ne présentent aucune utilité du point de vue de la croissance intérieure, ou qui s’y opposent. Ces aspects sont avant tout « Faux Moi ».

    Voila de belles choses dites par notre marchand de tapis. Et ses choses sont vraies. Si l’auteur a suivi cette route de la renaissance, il se contente d’en parler fort bien mais ne livre pas la manière de procéder. Les élèves sont ainsi confrontés à une recherche qui ne peut qu’aboutir à une psychothérapie. C’est là qu’est l’esbroufe. La séduisante théorie est exposée, et on reste en admiration devant la théorie car point de clé pour la concrétiser. Mieux encore un piège. En effet nul ne saurait transformer PROFONDÉMENT ET DÉFINITIVEMENT sa manière d’être par ses propres réflexions et « prises de conscience ». Ce que Gurdjieff ne dit pas c’est que nous somme piégés par notre intellect. Et le fait de proposer d’utiliser l’intellect pour transformer l’intellect est une utopie.

    Ceux qui sont sur ce chemin savent qu’il faut passer par le corps.

    C’est pour avoir exposé des concepts vrais et séduisant, à un Occident avide de merveilleux et de pensées profondes, sans fournir la solution pour les concrétise, que notre « petit maître » se pose en roi de l’esbroufe.

    Il est vrai que nous sommes tellement endormis que notre marchand de tapis a eu la tache facile, ce qui lui a permis d’être le premier coach de l’ésotérisme et de se remplir les poches.

     

    Avec toute mon amitié.

     

     

     


    [1] La clé de l’énnéagramme est non seulement alchimique mais surtout basée sur la symbolique du nombre sept qui est beaucoup mieux expliquée par Rudolf Steiner et les biographies qui en découlent.

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